La deuxième partie de l’exposition explore la construction scientifique de la notion de « race » et illustre, à partir d’exemples historiques, la mise en œuvre de racismes institutionnalisés par des états. Le visiteur remonte le temps en traversant deux espaces : une rotonde et trois cubes similaires reliés par un cheminement visible au sol.

L’histoire est convoquée :

  • pour mettre en évidence et illustrer par des exemples la construction de la notion de « race » et les phénomènes de racialisation dans des contextes spécifiques (esclavagisme, colonialisme, nationalisme) ;
  • pour montrer comment ces processus résultent d’interactions sociales engageant différents acteurs : la science, les politiques, les médias et la société civile.
Nous et les autres - La racialisation des identités collectives
Nous et les autres - La racialisation des identités collectives, by © MNHN - JC Domenech

COMMENT S’EST CONSTRUITE L’IDÉE D’UNE PRÉTENDUE HIÉRARCHIE DES « RACES » ?

La rotonde déroule le fil de l’histoire des idées du 17e  au 19e siècle

Sur les parois d’un espace cylindrique, se font face, dans l’ordre chronologique, le contexte historique des conquêtes coloniales et la construction scientifique de la notion de « race ». Les dates clefs et les éléments portés à la connaissance des visiteurs sont appuyés par des documents iconographiques et par des objets. Trois bornes multimédia présentent, sous forme d’images et de récits, le contexte historique de l’esclavagisme et du colonialisme et la démarche scientifique.

Des esclaves aux indigènes : quand le droit entérine la suprématie des européens

Partis à la conquête du monde à la fin du 15e siècle, les Européens, entrant en contact avec des peuples « autres » par leur couleur de peau et leurs pratiques culturelles, vont justifier leur domination par la prétendue supériorité de la « race » blanche et édicter des règles pour asseoir leur suprématie.

C’est donc pour des raisons économiques et politiques que la distinction de couleur puis le racisme se développent peu à peu, dans le contexte de l’esclavagisme. Au 19e siècle, le colonialisme s’accompagne d’une racialisation des identités et se traduit par une privation des droits civiques. Le régime de l’indigénat est appliqué dans l’ensemble des colonies.

Aux citoyens français qui bénéficient des droits civiques et politiques, s’opposent des « sujets » désignés sous le terme « indigènes » et soumis à une législation discriminante : absence de droits politiques, restriction des déplacements, travail forcé.

À partir de la seconde moitié du 19e siècle, la science utilise la notion de « race » pour classer la diversité humaine. Dans ce contexte, classification devient synonyme de hiérarchie raciale. Forgée par les élites, des représentations inégalitaires des populations colonisées circulent et structurent dès lors les imaginaires.

Quand la science s’en mêle…

Des exemplaires de publications scientifiques majeures illustrent le rôle joué par la science dans la légitimation du discours raciste. Au 18e siècle, les naturalistes (Linné, Buffon) entreprennent de classer la diversité du monde vivant. L’anthropologie devient une discipline autonome au milieu du 19e siècle et ses représentants (Quatrefages, Paul Broca) se penchent sur la diversité de l’espèce humaine. Classifier ne signifie pas nécessairement hiérarchiser mais dans le contexte politique de l’esclavagisme puis de la colonisation, l’entreprise des scientifiques s’accompagne d’une dimension inégalitaire et essentialisante, les mesures de l’angle facial, de la forme du crâne ou du volume cérébral venant à l’appui de considérations culturelles. On attribue alors des capacités cognitives, des potentialités de développement, voire des valeurs morales en fonction des particularités biologiques constatées.

La hiérarchisation des « races » est théorisée par Joseph-Arthur Gobineau en 1853 dans son Essai sur l’inégalité des races humaines, auquel répondra en 1885 le Haïtien Joseph Anténor Firmin dans De l’égalité des races humaines, rare voix à s’élever contre l’idée alors largement répandue de l’infériorité des cultures non-occidentales dites primitives.

« Le processus de racialisation consiste à assimiler l’individu à un groupe homogène dont les caractéristiques sont figées, uniformisées et dévalorisées. Dans certains contextes historiques spécifiques, un groupe dominant, souvent dans une volonté de domination économique et/ou politique, active certaines catégories, dans le but de les rejeter hors de la communauté en utilisant les moyens dont il dispose : la force mais aussi la législation, l’éducation et les institutions. »

Carole Reynaud-Paligot, commissaire de l’exposition

LE RACISME DANS L’IMAGINAIRE COLLECTIF

Afin de mettre en évidence l’imbrication des différents acteurs impliqués dans la construction du racisme, la chronologie est complétée par la présentation de documents : manuels scolaires, réclames, affiches des expositions coloniales, couvertures de presse illustrant la diffusion et l’acceptation, au sein de la société française, de la notion de « race » et de supériorité de la « race » blanche.

« Le tour de la France par deux enfants »

« Le tour de la France par deux enfants » Ce manuel scolaire édité en 1877 fut la référence pour l’apprentissage de la lecture dans les écoles de la IIIe République et restera en usage jusque dans les années 1950. Les quatre « races » y sont illustrées par des représentants « typiques ».

« Le tour de la France par deux enfants »

« Le tour de la France par deux enfants » Ce manuel scolaire édité en 1877 fut la référence pour l’apprentissage de la lecture dans les écoles de la IIIe République et restera en usage jusque dans les années 1950. Les quatre « races » y sont illustrées par des représentants « typiques ».

TROIS EXEMPLES DE RACISME INSTITUTIONNALISÉ : LA SÉGRÉGATION RACIALE AUX ÉTATS-UNIS, L’Allemagne NAZIE, LE RWANDA INDÉPENDANT

Dans trois cubes sont présentés trois exemples de « racialisation » dans ses manifestations les plus extrêmes

Dans un environnement plus immersif – trois cubes –, le visiteur est confronté à des exemples de racismes institutionnalisés qui ont conduit à des discriminations, des violences, voire des génocides.

Symboles des cases d’esclaves, des baraques des camps ou de l’enfermement idéologique, chaque cube est de conception similaire afin de matérialiser la répétition des processus. L’entrée s’effectue par une ouverture au cœur d’une photo représentant, à l’échelle 1, les groupes victimes.

Au centre de chaque cube, est exposé un objet totem : des fac-similés de plaques américaines « White Only », un entonnoir utilisé pour la diffusion d’un produit toxique mortel dans le camp du Struthof en Alsace et un transistor pour évoquer la Radio des Mille-Collines au Rwanda. Chaque exemple historique est abordé dans ses spécificités, à partir de documents d’archives.

La ségrégation raciale aux États-Unis, au nom de la supériorité de la « race » blanche et de ses intérêts économiques

Après la guerre de Sécession (1861-1865), l’esclavage est aboli et l’égalité des droits affirmée par la Constitution. Néanmoins, pour maintenir la suprématie économique des planteurs, les États sudistes privent de droits civiques les anciens esclaves, devenus pour la plupart ouvriers agricoles. Des préjugés dévalorisants circulent et légitiment cette politique. Selon le principe « séparés mais égaux » légalisé par la Cour suprême en 1896, les Noirs sont soumis à un système de ségrégation dans les lieux publics.

Ce n’est qu’au prix de luttes - pacifiques ou non - que seront abolies les lois ségrégationnistes le 2 juillet 1964, le Civil Rights Act interdit toute discrimination et ségrégation dans les lieux publics ; en 1965, le Voting Rights Act garantit le droit de vote aux Africains-Américains.

Ségrégation raciale - Afro-américain buvant à une fontaine réservée aux Noirs. Oklahoma City, Oklahoma. Juillet 1939.
Ségrégation raciale - Afro-américain buvant à une fontaine réservée aux Noirs. Oklahoma City, Oklahoma. Juillet 1939., by © MNHN - Jean Christophe Domenech

Un nationalisme exacerbé : le nazisme et l’obsession de la pureté raciale

Six millions de Juifs ont été assassinés, ainsi que des centaines de milliers de Tsiganes, dans le cadre d’une politique visant à préserver la pureté de la « race » aryenne. Ce génocide massif est l’aboutissement d’une politique raciale progressivement mise en place en Allemagne par Hitler, chancelier à partir de 1933. L’humiliation de la défaite de 1918 et les clauses très dures du traité de Versailles ont contribué, dans un contexte de crise économique, à l’exacerbation du nationalisme allemand. Pour le Parti national socialiste, l’antagonisme et la lutte entre les « races » expliquent l’histoire des sociétés humaines. Ses idéologues exaltent le mythe de la « race pure », celle des « aryens », un mythe qui nécessite la ségrégation des éléments censés l’affaiblir, notamment les malades mentaux, les Juifs, les Tsiganes, les Slaves et les personnes handicapées... Les mesures discriminatoires (exclusion de la vie économique et sociale, interdiction des mariages mixtes) sont rapidement suivies, après le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, par une politique systématique d’extermination de tous les Juifs d’Europe, en Allemagne mais également dans tous les territoires occupés. L’application de la « solution finale », décidée au cours de l’année 1941, s’accompagne de la création des camps d’extermination.

Lorsque les Alliés libèrent les camps en 1945, près des deux tiers des juifs d’Europe ont péri.

Rwanda, entre héritage colonial et nationalisme

En cent jours, entre avril et juillet 1994, 800 000 Rwandais sont massacrés. Le génocide au Rwanda combine les deux principaux vecteurs des phénomènes de « racialisation » : le colonialisme et le nationalisme. Les colons européens ont transformé des catégories non figées en « races » tutsie et hutue, mentionnées sur les cartes d’identité à partir de 1930. Ce schéma prévaut dans la gestion du pays, valorisant les Tutsis et alimentant le ressentiment des Hutus, majoritaires.

Après l’indépendance, en 1962, un parti nationaliste réactive cette dualité à des fins politiques. L’attentat du 6 avril 1994 contre le président Juvénal Habyarimana, élu en 1973, est suivi immédiatement par le déclenchement dans tout le pays du génocide des Tutsis et du massacre de Hutus opposants, considérés comme complices. L’appel à la haine et au massacre est relayé par la RTLM (Radiotélévision libre des Mille-Collines) créée durant l’été 1993 par des extrémistes proches de la présidence. Au-delà des tensions internes, la responsabilité des partenaires internationaux est mise en cause et notamment celle de la France.

Kigali Genocide Memorial Centre
Kigali Genocide Memorial Centre, by © Trocaire

TROIS OBJETS TÉMOINS, ILLUSTRANT LE RACISME D’ÉTAT

Entonnoir de chambre à gaz. Camp de Natzweiler/Struthof (Alsace). Août 1943

Entonnoir de chambre à gaz. Au camp de Natzweiler/Struthof (Alsace), cet entonnoir, fixé à l’extérieur de la chambre à gaz, permettait de déverser de l’eau sur de l’acide cyanhydrique pour provoquer une émanation mortelle. Ce procédé spécifique est à l’origine de la mort de 86 juifs en août 1943.

Radio Phillips. Symbole du génocide rwandais. Juillet 1993. Muséum national d’Histoire naturelle - Musée de l’Homme.

Radio Phillips. Symbole du génocide rwandais, la Radio des Mille Collines, mise en place en juillet 1993, diffuse des messages de propagande contre les Tutsis, les Belges, les Hutus modérés et les Nations Unies. Elle prépare les esprits à la haine raciale puis incite au passage à l’acte violent. Muséum national d’Histoire naturelle - Musée de l’Homme.

Plaque de ségrégation (États-Unis, années 1920-30). Muséum national d’Histoire naturelle - Musée de l’Homme.

Plaque de ségrégation (États-Unis, années 1920-30). Dans les États du sud, les lois Jim Crow, légalisées en 1896, imposent la ségrégation raciale. Les noirs ne fréquentent pas les mêmes écoles que les blancs, n’accèdent pas aux bâtiments par les mêmes entrées. Ils sont souvent exclus de nombreux lieux publics, comme les restaurants, les jardins publics ou les bibliothèques. Muséum national d’Histoire naturelle - Musée de l’Homme.

Plaque de ségrégation (États-Unis, années 1920-30). Muséum national d’Histoire naturelle - Musée de l’Homme.

Plaque de ségrégation (États-Unis, années 1920-30). Dans les États du sud, les lois Jim Crow, légalisées en 1896, imposent la ségrégation raciale. Les noirs ne fréquentent pas les mêmes écoles que les blancs, n’accèdent pas aux bâtiments par les mêmes entrées. Ils sont souvent exclus de nombreux lieux publics, comme les restaurants, les jardins publics ou les bibliothèques. Muséum national d’Histoire naturelle - Musée de l’Homme.

LA CONDAMNATION DU RACISME AU LENDEMAIN DE LA SECONDE GUERRE MONDIALE

Lors du procès de Nuremberg (1945-1946) qui a pour objectif de juger les hauts responsables nazis, la notion de « crime contre l’humanité » est utilisée pour la première fois. La révélation des crimes nazis au nom de la pureté raciale conduit alors une grande partie de la communauté internationale à condamner la croyance en l’inégalité des « races ».

La Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948 et les Déclarations de l’UNESCO (à partir de 1950) affirment l’unité fondamentale de l’espèce humaine et l’égalité de tous les êtres humains.

Néanmoins, cette volonté proclamée ne met pas un terme aux inégalités raciales qui se manifestent notamment dans les résistances aux processus de décolonisation, dans la persistance de la ségrégation aux États-Unis et le régime de l’apartheid en Afrique du Sud.

REGARD SUR L’HISTOIRE : LE MUSÉE DE L’HOMME EN 1938

À sa création, en 1938, le Musée de l’Homme, dans son approche de la diversité humaine, est le reflet de son époque. Son fondateur, Paul Rivet, humaniste et progressiste, défend la colonisation en tant que « mission civilisatrice » contribuant à l’émancipation des peuples.

Tout en refusant la hiérarchisation biologique des « races », il envisage leur inégalité culturelle.

Une partie des collections du Musée est issue de missions de collecte menées au sein de l’empire français. La pensée « coloniale », alors en vigueur, n’est pas en contradiction avec l’engagement de Paul Rivet et des chercheurs du Musée contre l’antisémitisme et le fascisme, un combat qui s’exprime notamment dans la revue Races et Racisme, parue entre 1937 et 1939.

LE RACISME N’EST PAS LE PROPRE DU MONDE OCCIDENTAL

De l’Afrique à l’Asie, des groupes minoritaires ont été soumis à des traitements discriminatoires, illustrés ici par deux exemples :

Les Pygmées. Chasseurs-cueilleurs forestiers d’Afrique centrale, les peuples pygmées sont considérés par leurs voisins agriculteurs, pour lesquels ils travaillent, comme des êtres pas tout à fait humains, très souvent inférieurs. Les relations privilégiées qu’ils entretiennent avec le monde des esprits et leur connaissance de la forêt leur valent crainte et admiration. Leur reconnaissance internationale comme seuls peuples autochtones de la région et leur intégration à la vie moderne contribuent à atténuer les attitudes racistes habituelles.

Les Aïnous au Japon. Originaires de l’île d’Hokkaidō, les Aïnous sont soumis à une assimilation forcée lors de la conquête de l’île par le pouvoir impérial en 1869. Considérés comme une race inférieure, ils sont alors employés dans des conditions proches de l’esclavage. La Constitution de 1947 abolit toute forme de ségrégation et permet de mobiliser la justice contre les discriminations.

Cours de rattrapage pour les enfants Koya, suite à l’absence d’enseignant à l’école.
Cours de rattrapage pour les enfants Koya, suite à l’absence d’enseignant à l’école., by © MNHN - Sylvie Le Bomin (UMR 7206)

VOUS AVEZ DES QUESTIONS ?

Est-ce que la science à quelque chose à dire sur le racisme ? Le racisme est-il une opinion ou un délit ? Quelle politique pour lutter contre le racisme ? Que puis-je faire pour lutter contre le racisme ?

24 QUESTIONS S’INSCRIVENT EN GROS CARACTÈRES SUR LES MURS D’UN ESPACE DE TRANSITION.

À chacun d’apprécier leur pertinence, de s’interroger sur ses propres certitudes et de puiser des réponses dans l’exposition.

Nous et les autres - Le racisme en questions
Nous et les autres - Le racisme en questions, by © MNHN - JC Domenech